Epilogue Castelain, procès Degallaix, non‐dits du Canal Seine‐Nord… le rapport d’impact 2025 de Mediacités Lille

Sur les 164 articles publiés par la rédaction lilloise de Mediacités cette année, certains ont fait bouger les lignes, en provoquant l’intervention de la justice, en faisant réagir les élus ou en alimentant le débat public. Des effets qui prouvent, une nouvelle fois, au-delà de la révélation, l’utilité d’une presse d'investigation locale.

Faire du journalisme utile. Telle est l’ambition visée par Mediacités depuis son lancement il y a près de neuf ans à Lille, comme nous en prenions l’engagement dans notre Manifeste de décembre 2016. Mais révéler des faits d’intérêt public pour essayer de changer les choses est un travail parfois ingrat. Seule une minorité de nos articles génère un effet direct, même si donner à voir et à comprendre des situations cachées ou des injustices a déjà en soi ses vertus.

Malgré ces limites, chaque année, depuis cinq ans, nous nous astreignons à publier un rapport sur l’impact de nos publications. Nous rééditons l’exercice en 2025 en vous proposant une petite sélection parmi les 164 articles publiés depuis décembre 2024 selon l’effet qu’ils ont pu produire. Certaines de nos enquêtes ont vu la justice s’en saisir. D’autres ont fait bouger les lignes. D’autre encore ont alimenté, voire initié, un débat public. Et puis, il y a aussi toutes celles dont on regrette qu’elles n’aient pas eu davantage d’impact au‐delà de nos pages web. A Lille, on ne donnera qu’un exemple parmi d’autres cette année…

1/ Les révélations dont s’est saisie la justice

Affaire Castelain : l’épilogue et la question pendante des frais de représentation

♦ Rappel des faits - Les lecteurs fidèles de Mediacités connaissent bien les quatre dossiers qui ont valu à Damien Castelain, président de la quatrième métropole française, de se voir condamné en juillet 2024, à un an de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité pour détournement de fonds publics, abus de confiance et prise illégale d’intérêts. Qu’il s’agisse de la prise en charge par la Métropole européenne de Lille de frais personnels, révélée en 2018 par notre média. Ou des « pierres bleues », ces pavés livrés gratuitement en 2009 par une filiale de l’entreprise constructrice du Grand stade de Lille au domicile du futur patron de la MEL afin de réaliser une terrasse. Dévoilée par La Voix du Nord, cette affaire a été abondamment documentée par Mediacités. Nous avons par ailleurs révélé le financement illégal de ses frais d’avocats par la collectivité ou le recrutement litigieux d’une des ses proches comme conseillère en communication.

Damien Castelain a comparu en appel en septembre dernier mais une grosse bourde de ses avocats lui assure de voir sa condamnation confirmée. Seule le quantum des peines pourrait être modifié. Avec pour principal enjeu la question de son inéligibilité, à quatre mois des municipales.

Procès Appel Castelain

👊 Impact - L’affaire des frais qui touche Damien Castelain est emblématique des problèmes posés par la prise en charge publique des frais « de représentation » des élus. Ceux de la maire de Paris et de certains adjoints, portant sur des montant beaucoup plus élevés, ont fait récemment la une des journaux nationaux. Mais le cas du président de la MEL ne doit pas être minimisé. C’est une question de principe.

En première instance, le tribunal judiciaire de Lille n’a ainsi retenu pour illégal que 548 euros de notes de frais « dont le caractère personnel est manifeste », tout en soulignant la « gravité » des faits « commis par une personne investie d’un mandat électif ». En appel, le procureur de la République s’est quant à lui attaché à lister plus précisément qu’en première instance quelque 10 000 euros de dépenses ne rentrant pas, selon lui, dans le cadre de frais « inhérents à la fonction », comme l’indique la définition des frais de représentation. Une définition qui mériterait toutefois d’être précisée.

Le jugement de la Cour d’appel de Douai, le 16 décembre prochain, pourrait à cet égard nourrir la jurisprudence en la matière. On attend avec impatience de savoir si des chaussettes peuvent en faire partie…

Articles à (re)lire :

Le maire de Valenciennes convoqué devant le tribunal

♦ Rappel des faits - Une ancienne intime de Laurent Degallaix, maire (Horizons) de Valenciennes et président de Valenciennes Métropole l’accuse d’avoir, en 2017, favorisé son embauche comme hôtesse d’accueil à la Société publique locale de stationnement de la ville… puis d’avoir fait pression sur l’un de ses anciens collègues pour que ce dernier la pousse à abandonner toute action en justice. Au printemps 2023, Mediacités révélait ces faits, à l’appui de deux plaintes, la première pour « trafic d’influence », la seconde pour subornation de témoins. Ces accusations sont étayées par des enregistrements clandestins.

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Laurent Degallaix, maire de Valenciennes et président de l’agglomération, lors d’une réunion sur l’avenir du bassin minier. Photo : Franck CRUSIAUX/POOL/SIPA

👊 Impact - Ces deux plaintes valent à Laurent Degallaix de comparaître le 19 février 2026 devant le tribunal judiciaire de Lille. Il reste présumé innocent. Après une perquisition de son domicile ainsi qu’une garde à vue de 36 heures en juin 2024, celui qui est maire de Valenciennes depuis 2012 devra répondre, à moins de deux mois de l’élection municipale, de faits de « complicité de prise illégale d’intérêts » et « subornation de témoin ». Il encourt une peine de 5 ans de prison et 500 000 euros d’amende. Une peine complémentaire d’inéligibilité, si elle était prononcée avec exécution immédiate, pourrait également l’empêcher d’être candidat. En 2019, le maire de Valenciennes a déjà plaidé coupable dans le dossier de la vente de V2H, l’office HLM municipal, à une filiale de la Caisse d’épargne… alors qu’il était encore salarié de la banque. Une affaire, là encore révélée par Mediacités.

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2 / Les enquêtes qui ont fait bouger les lignes

Le management jugé toxique à La Fabrique des quartiers

♦ Rappel des faits - Plus d’une dizaine de témoignages et de nombreux documents ont permis à Mediacités de mettre au jour les pratiques managériales jugées toxiques de Vincent Bougamont, directeur de La Fabrique des quartiers. Cet outil, bras armé de la métropole européenne de Lille et de ses trois principales communes – Lille, Roubaix et Tourcoing – oeuvre à la « requalification et à la revitalisation des quartiers d’habitat anciens dégradés ». Une société publique d’aménagement secouée par nos révélations sur les méthodes brutales et le caractère colérique de son directeur historique. 

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Bras armé de la Métropole européenne de Lille en matière de rénovation urbaine, La Fabrique des quartiers connaît un climat social tendu. Des salariés et des anciens salariés dénoncent le management de son directeur, Vincent Bougamont. Montage photo : Mediacités

👊 Impact - Pendant de nombreuses années, les autorités de tutelle sont restées silencieuses malgré les alertes multiples sur les conditions de travail difficiles dénoncées par plusieurs salariés de La Fabrique des quartiers, confrontés aux coups de colère et humiliations répétées de la part de leur directeur. L’enquête de Mediacités a permis de libérer suffisamment la parole pour contraindre le président de la structure, l’élu roubaisien Karim Amrouni, à lancer un audit. Une décision nécessaire au regard de l’ampleur du mal‐être interne documenté au fil de notre enquête. Mais un impact limité. Selon nos informations, les anciens salariés dénonçant le management du directeur n’ont pas été sollicités par les auditeurs. Les conclusions de l’audit évoquent elles aussi des problèmes de management mais l’équipe a tout de même renouvelé sa confiance envers Vincent Bougamont, maintenu en poste. Ce document n’a pas été rendu public, ce que nous ne pouvons que regretter.

Vidéosurveillance algorithmique : la ville de Lille rappelée à l’ordre par la Cnil

♦ Rappel des faits - ll y a presque un an, Mediacités révélait que la police municipale de Lille avait recours depuis 2021 au logiciel d’analyse d’images Briefcam pour ses caméras de vidéosurveillance. Potentiellement capable de faire de la reconnaissance faciale, ce qui est interdit, ce logiciel dopé à l’intelligence artificielle est soumis à des obligations de déclaration auprès de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) précisant les usages qui peuvent en être faits. Or ni la Cnil au niveau national, ni l’instance locale concernée – le comité municipal d’éthique pour la vidéoprotection, autrement dit des élus -, n’avaient reçu la moindre information, contrairement à ce que prévoit la loi.

Suite à notre article, la municipalité avait publié un communiqué, assorti d’un droit de réponse, clamant haut et fort que Briefcam n’était pas utilisé pour faire de la reconnaissance faciale et que toutes les déclarations nécessaires avaient bien été effectuées auprès de la Cnil. Problème, nous n’avions parlé à aucun moment de reconnaissance faciale dans le cas de Lille mais d’utilisations possibles dépassant la vidéosurveillance classique, comme l’identification de véhicules sur réquisition judiciaire. Or ces modalités de surveillance algorithmique ne figuraient pas sur les documents transmis à la Cnil, un « oubli » que nous avions documenté et qui avait fait l’objet d’un second article.

Au centre de supervision urbain (CSU) de Lille, relié aux caméras installées à Lille et Hellemmes. Photo : Brianne Cousin

👊 Impact - Suite à une plainte des élus d’opposition du groupe Lille Verte auprès de la Cnil, celle‐ci a confirmé en mars dernier, comme l’a également dévoilé Mediacités, que « le logiciel BriefCam a été mis en œuvre entre novembre 2022 et janvier 2025 sans qu’une analyse d’impact préalable n’ait été menée quant à ce traitement  ». L’instance indique donc avoir « rappelé à la commune de Lille ses obligations » en la matière, « conformément aux dispositions de la loi du Règlement général sur la protection des données (RGPD) ». La Ville n’a en fait pas attendu de se faire taper sur les doigts pour se mettre en conformité avec la loi. La Cnil nous apprend en effet qu’elle a intégré le logiciel Briefcam dans une mise à jour de « l’analyse d’impact relative à la protection des données » qu’elle lui a transmise en janvier 2025 . Une possibilité que nous avions nous‐mêmes suggérée dans notre article de décembre… 

Articles à relire

3/ Les articles qui ont alimenté le débat public

Les non‐dits du Canal Seine‐Nord Europe

♦ Rappel des faits - Mediacités s’est intéressé de plus près au « chantier du siècle », le Canal Seine‐Nord Europe, dont les travaux ont débuté entre Compiègne et Cambrai et qui a pour but de désengorger l’autoroute A1. Problème : alors que le gabarit de ce nouveau tronçon est prévu pour des bateaux de 185 mètres de long transportant trois étages de conteneurs, il s’insère dans un réseau plus large – le réseau Seine‐Escaut – dont les ponts trop bas et écluses trop courtes ne permettent pas de faire passer ce type d’embarcation…

Un constat qui contrarie grandement les objectifs de report modal mis en avant par ce projet. Or, aucune enveloppe n’est prévue pour l’instant pour réaménager ces infrastructures. Ces travaux pourraient faire varier la facture du simple au double. Le coût global du Canal Seine‐Nord reste aujourd’hui opaque. En cours de réévaluation depuis la pandémie, aucun chiffrage actualisé n’a été rendu public quant à la révision à la hausse des 5,1 milliards d’euros prévus, suite à l’inflation du coût des matières premières découlant du retard du chantier.

Quesnoy sur Deule 2
Les chantiers d’adaptation des infrastructures pour le futur canal se poursuivent, comme ici, à Quesnoy‐sur‐Deûle où la porte de la nouvelle écluse a été posée. Photo : Eden Sakhi Momen

👊 Impact - Après la publication de cet article, le directeur « Partenariats et territoires » de la Société du Canal Seine‐Nord, Pierre‐Yves Biet, a immédiatement sollicité un entretien avec Mediacités, regrettant ne pas avoir eu de « contact oral direct en amont, si ce n’est qu’un court échange de mail ». Mediacités avait pourtant pris attache avec le service communication de la SCSNE six semaines avant la parution de cet article, et l’avait relancé à plusieurs reprises pour demander une interview à ce sujet.

Au cours de l’entretien d’une heure auquel a participé notre journaliste, Pierre‐Yves Biet s’est montré personnellement atteint par l’impact de cet article auprès des lecteurs, alors qu’il défend ce projet au quotidien. Dans son compte‐rendu écrit reprenant l’essentiel des échanges, la SCSNE confirme néanmoins qu’il y a « effectivement 168 ponts inférieurs à 7 mètres de haut. La hauteur des ponts autorisera le transport de conteneurs sur deux couches (…) soit [l’équivalent de] 48 camions ». Elle renvoie le relèvement des ponts à plus tard, en « conséquence potentielle du succès du projet ». Sur son site, la SCSNE continue néanmoins de promouvoir le fait que le canal pourra accueillir des péniches transportant l’équivalent de 220 camions pour soulager le réseau routier, avec des visuels représentant trois couches de conteneurs.

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Chaos dans le métro lillois : Mediacités raconte les coulisses

♦ Rappel des faits - “L’incroyable fiasco du métro”. Voici comment était titré, le 28 novembre 2016, le tout premier article publié par Mediacités Lille. Nous y racontions l’invraisemblable raté du doublement des rames de la ligne 1 (ou ligne jaune).
Alors qu’elles devaient théoriquement entrer en service pour l’Euro de football, les rames de 52 mètres, dites boa, sont toujours au garage dix ans plus tard. Mediacités a suivi de près ce feuilleton aux multiples rebondissements : les dessous du renouvellement de la concession à Kéolis en 2016 et 2024, la découverte extrêmement tardive d’amiante, la commande encore plus tardive de nouvelles rames pour la ligne 2, ou encore les déboires du nouveau pilote automatique.

Metro Lille Flandres
Un quai bondé sur la ligne 1 en gare Lille Flandres. Photo : Mattéo Ferrux

👊 Impact - Entre la Métropole européenne de Lille et Mediacités, les ponts sont coupés depuis bien longtemps. Ce refus de communication s’étend aux structures satellites de la métropole, dont Ilévia. Ainsi, nous ne pouvons rendre de compte de réactions ou d’indiscrétions confiées lors d’entretiens. Reste que nous faisons figure de vigie sur ce sujet du métro : nous compensons l’absence de transparence de l’opérateur des transports en recensant les interruptions sur la ligne 1, nous avons contribué à révéler les causes profondes de ce fiasco, enfin, nous tempérons les discours exagérément enthousiastes des élus.

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4/ Les enquêtes dont on regrette qu’elle n’aient pas produit plus d’impact

Noréade : les dessous peu reluisants de la première régie publique de l’eau

♦ Rappel des faits - Mediacités a fait écho, dans une série d’articles, aux nombreux dysfonctionnements internes à la première régie publique de l’eau de France, Noréade, qui s’étend sur trois départements de la région Hauts‐de‐France. Alors que les usagers paient des factures toujours plus élevées pour une qualité des infrastructures et de l’eau qui laisse à désirer, la Chambre régionale des comptes a mis au jour un système opaque qui a permis à deux anciens directeurs généraux de toucher pendant de nombreuses années des rémunérations dépassant les 14 000 euros mensuels. De leur côté, les employés dénoncent un système de recrutement par piston et un management engendrant une grande souffrance au travail, tandis que les élus locaux censés contrôler les agissements du syndicat se font très discrets.

De nombreux investissements coûteux attendent Noréade dans les prochaines années : résorption des fuites, renouvellement des installations, mise en conformité de l’eau. Source : Facebook de Noréade.

👊 Impact‐ A ce jour, ni la direction de Noréade, ni les élus des 740 communes adhérentes n’ont réagi publiquement à cette série d’articles. Mediacités restera attentif aux débats éventuels suscités lors de la campagne des municipales, qui seront également l’occasion de renouveler la gouvernance du syndicat intercommunal. De nombreux employés de Noréade se sont en revanche reconnus dans les témoignages recueillis et ont cherché à contacter Mediacités pour raconter leur histoire. Si vous êtes dans ce cas, vous pouvez prendre contact avec notre journaliste Eden Sakhi Momen à l’adresse mail suivante : esakhi-momen@mediacites.fr 

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Par Yves Adaken, Eden Sakhi Momen, Matthieu Slisse et Sheerazad Chekaik-Chaila

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