Municipales 2020 : le risque d’un second tour sans débat

L’expérience du confinement a fait germer un tas d’initiatives mais aussi de nouvelles préoccupations chez les citoyens. Va-t-elle aussi raviver le débat politique local ? C’est le souhait de Nicolas Rio, consultant-chercheur en stratégies territoriales, qui pointe le risque d’expédier trop rapidement cette première élection post-Covid.

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Illustration : Jean-Paul Van der Elst

Fin août 2019, Nicolas Rio explorait dans Mediacités cinq sujets controversés, à même selon lui d’animer les débats politiques locaux. Neuf mois et une pandémie plus tard, ces points de discussion restent ô combien d’actualité. L’organisation du second tour fin juin 2020 l’a tout de même conduit à reprendre sa plume. Il invite les candidats – et les citoyens – à se saisir de cette campagne express autour de deux enjeux structurants pour les mois et années à venir : l’intégration de la transition écologique et sociale dans les plans de relance locaux, et l’émergence d’une politique territoriale du care.     

« Sauf revirement sanitaire, le second tour des élections municipales aura donc lieu le 28 juin 2020. La décision gouvernementale a le mérite de mettre fin à une période d’entre-deux aussi longue qu’inconfortable. Le report du second tour avait en effet conduit des maires mis en ballotage à assurer seul ou presque le pilotage de la gestion de crise.

Choisie avec le soutien des principales associations d’élus et d’une trentaine de maires sortants, cette date place aujourd’hui l’ensemble des candidats dans une situation d’urgence. Il va leur falloir inventer de nouvelles façon de faire campagne, sans meetings électoraux, sans porte‐à‐porte ni distribution de tracts sur les marchés.
En quelques semaines, ils vont surtout devoir redéfinir leur programme pour l’adapter à un contexte inédit. Comme la situation pré‐covid paraît lointaine… même si les propositions antérieures ne sont pas toutes devenues obsolètes.

Des élections express, sans débat ou sans citoyens ?

Gare à ce que cette date rapprochée ne conduise pas à expédier le scrutin comme une simple formalité démocratique. Le second tour ne peut être considéré comme un simple obstacle à lever pour assurer la bonne reprise de l’économie et le retour à la normale. Le risque serait grand, alors, d’assister à des élections sans débat, servant uniquement à (in)valider la bonne gestion de crise des exécutifs en place et soulignant la nécessaire stabilité des équipes face aux incertitudes encore à venir.

A contrario, un autre risque serait d’avoir des élections sans citoyens, où les négociations d’appareils l’emportent sur le besoin de délibération démocratique. La campagne se jouerait alors à l’abri des regards citoyens, chaque camp s’évertuant à composer des coalitions suffisamment larges pour résister à une abstention probablement massive. Pourrait‐on vraiment parler, dans ce cas, de déconfinement de la démocratie ? La démocratie reprendrait‐elle vraiment ses droits en cantonnant ainsi les électeurs à un rôle de spectateur ? A quoi sert une élection si elle ne permet pas l’affrontement, puis le choix, de visions contrastées sur le devenir souhaitable du territoire ainsi que le rôle, pour ce faire, de l’action publique locale ?

Deux enjeux résolument politiques à mettre en débat

Ce ne sont pourtant pas les points de débat qui manquent à l’échelle locale. Organisés trois mois après le début du confinement, ces élections municipales pourraient agir comme un premier espace de digestion démocratique des multiples crises intervenues ces dernières semaines. Au‐delà des cinq thèmes préalablement identifiés, deux enjeux émergents mériteraient d’être mis en discussion.

Le premier concerne la mise en cohérence entre relance économique et transition écologique et sociale. Les communes et les intercommunalités ont un rôle majeur à jouer pour favoriser la reprise d’une économie à l’arrêt. A titre d’exemple, elles représentent près de la moitié de la commande publique. Mais qui faut‐il aider à travers les futurs plans de relance, et sous quelles conditions ? Les réponses sont loin de faire consensus. Quand certains pointent la nécessité de faire repartir la croissance coûte que coûte en se focalisant sur le soutien aux principaux employeurs du territoire, d’autres voient dans la crise l’occasion de renouveler les filières d’avenir. C’est par exemple la controverse qui se joue à Toulouse sur le devenir d’une filière aéronautique percutée par le covid‐19.    

L’élaboration des plans de relance locaux agit comme un test de la capacité des collectivités à influer sur le tissu économique local et l’orienter pour le rendre plus résilient face aux bouleversements à venir. Au vu des sommes d’argent public engagées, elle vient aussi mettre à l’épreuve la cohérence des options retenues avec toutes les mesures environnementales promises lors du premier tour. S’il est prématuré de demander aux candidats de s’engager sur un montant précis, les citoyens seraient en droit de savoir les cibles considérées comme prioritaires pour les aides publiques locales et les contreparties exigées.

Ce n’est pas de « 3 ou 4 points de PIB de plus » dont la France a besoin

En révélant l’ampleur de nos vulnérabilités et de nos interdépendances, la crise actuelle reconfigure aussi la question sociale. Elle démontre l’importance d’une politique du care, au niveau national comme à l’échellle locale. Aides-soignant.es, caissier.res, livreur.es : le covid rappelle l’importance de toutes ces « petites mains » indispensables au fonctionnement du territoire et au bien‐être de ses habitants. Si tous les candidats font aujourd’hui l’éloge de ces premiers de corvées – dont une partie peuple les rangs de l’administration locale ou de ses sous‐traitants –, quelles sont leurs propositions pour en améliorer la condition ? Ces ménages sont les premiers à subir les conséquences de la hausse des prix de l’immobilier dans les grandes agglomérations, du manque de places en crèches et de réseaux de transports en commun saturés.

L’expérience du confinement invite à sortir d’une vision purement curative de l’action sociale locale, centrée sur la seule assistance et le retour à l’emploi. Accès à un logement digne et à une alimentation de qualité, maintien du lien social, place donnée au vivant, santé publique pour réduire les facteurs de co‐morbidité : comment les candidats vont‐ils se saisir de ces exigences ?

La crise actuelle a mis en lumière, enfin, l’importance des initiatives citoyennes pour venir en aide aux plus vulnérables. Comment les communes et les intercommunalités peuvent‐elles accompagner ce mouvement, sans se défausser de leur responsabilité ? Quelle place leurs élus doivent‐ils prendre dans l’organisation des solidarités ? Et comment associer ces acteurs associatifs ou citoyens aux décisions politiques locales ?

Pour une fois que les élections municipales ne se limitent pas au tryptique fiscalité‐propreté‐sécurité, ce serait dommage que la campagne se déroule sans débat. »

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