Les grands projets abandonnés en région nantaise

[En cartes 2/4]. Depuis l'abandon de la construction de l'aéroport à Notre-Dame-des-Landes en 2018, de nombreux grands projets ont avorté en région nantaise. Si les porteurs diffèrent – Nantes Métropole, État, entreprises – un véritable « savoir-faire militant » écologiste jusqu’aux zadistes, a pesé dans la balance.

D'un Méthaniseur XXL à un entrepôt Amazon. Montage : Thibault Dumas / Mediacités
D'un Méthaniseur XXL à un entrepôt Amazon. Montage : Thibault Dumas / Mediacités

La région nantaise est‐elle un cimetière à grands projets ? La question agite les milieux économiques et politiques depuis sept ans et l’abandon en 2018 de la création d’un aéroport à Notre‐Dame‐des‐Landes, au nord de Nantes. Yann Trichard, président de la CCI Nantes Saint‐Nazaire, s’inquiète ainsi régulièrement « pour l’attractivité, le développement économique et l’emploi sur nos territoires ».

Du côté de Johanna Rolland, aux manettes depuis 11 ans, on exècre l’étiquette de « maire des grands projets abandonnés », dont l’affuble son opposition. Et l’édile de lister les réalisations récentes, comme la rénovation du Musée d’arts, ou en cours, comme le triplement du pont Anne de Bretagne. « Quel que soit le territoire, il y a des projets, portés par l’État, les collectivités ou le privé qui aboutissent ou pas. Il n’y a pas de microclimat nantais », argue Bassem Asseh, premier adjoint (PS) à la Ville de Nantes, qui préfère « un projet abandonné à un projet mal réalisé ».

Reste que la liste des projets avortés est longue et témoigne d’un « vrai savoir‐faire militant qu’a essaimé NDDL », estime Françoise Verchère, figure anti projet aéroportuaire. Politiquement, le spectre des contestataires est large, des élus écologistes aux zadistes. L’ex-maire (divers gauche) de Bouguenais donne même sa “recette” d’une opposition qui débouche sur un abandon : « analyse fine des dossiers, actions de terrain et union des forces militantes, même si ça n’est pas toujours simple. Sans oublier d’aller devant les tribunaux ».

1. L’aéroport de Notre‐Dame‐des‐Landes, en 2018

NDDL
Rassemblement contre la construction de l’aéroport de Notre‐Dame‐des‐Landes, le 27 février 2016. Photo : Tristan Reynaud/SIPA

6 642 documents qui remontent à 1971, soit aux premières études de l’État. Voilà ce que représente désormais aux archives de Loire‐Atlantique le projet d’aéroport de Notre‐Dame‐des‐Landes et le long conflit qu’il a engendré. De loin le plus marquant de l’après-guerre dans l’Ouest et peut‐être même en France, avec celui du Larzac. Le sigle ZAD – et tous ses dérivés : zadistes, zadisme, etc. – est même né sur place, il y a 15 ans. La « zone d’aménagement différé » est ainsi devenue « zone à défendre ». On y a compté jusqu’à 500 occupants, pour la plupart illégaux, contre une centaine aujourd’hui. Mais quelque 38 baux pour des projets agricoles ont depuis été signés par le Département.

De quoi susciter de très sérieuses études universitaires et donner lieu à une vingtaine d’ouvrages parmi lesquelles Mediacités ne peut que recommander « ZAD. Une histoire de la violence : l’évacuation de Notre‐Dame‐des‐Landes » (éditions Denoël) et « Notre‐Dame‐des‐Landes, après la lutte » (éditions Seuil), écrits respectivement par Anaïs Denet et Éléonore Duplay.

Rappelons qu’après un demi‐siècle passé dans les tuyaux, l’abandon de ce projet aéroportuaire estimé à 500 millions d’euros a été annoncé par le gouvernement le 17 janvier 2018. «  Un tel projet d’aménagement qui structure un territoire pour un siècle ne peut se faire dans un contexte d’opposition exacerbée entre deux parties presque égales de la population », justifie le Premier ministre d’alors Édouard Philippe. Quelques mois plus tard, en avril 2018, une vaste opération gendarmesque procédera à une évacuation partielle de la ZAD débouchant sur plusieurs jours de violences (mais sans aucun mort à déplorer). Et ceci après l’échec cuisant de l’opération César, en 2012, alors que Jean‐Marc Ayrault était à Matignon. 

Notre‐Dame‐des‐Landes : après 15 ans d’occupation, une ZAD qui se cherche encore

2. Le nouveau stade YelloPark, en 2019

Yoann Chouin-Joubert, Johanna Rolland et Waldemar Kita présentent le ‘Yellopark’ en septembre 2017 (c) FC Nantes
Yoann Chouin‐Joubert, Johanna Rolland et Waldemar Kita présentent le Yellopark en septembre 2017. Photo : FC Nantes

Quel drôle d’attelage que celui qui a poussé l’idée de ce stade YelloPark intégré à un nouveau quartier, d’abord envisagé à la place (version un) puis à côté (version deux) de La Beaujoire, stade historique du FC Nantes ! Il associe en effet un fantasque président de club et redoutable homme d’affaires, Waldemar Kita ; un (trop) ambitieux promoteur immobilier nantais jusqu’ici inconnu, Yoann Choin‐Joubert, PDG du groupe Réalités ; et une maire élue depuis trois ans, longtemps (trop) séduite par ce projet « 100 % privé », chiffré à 500 millions d’euros, la socialiste Johanna Rolland.

Après 18 mois de controverses et de conflits, la situation devient intenable politiquement alors que les municipales de 2020 approchent. Nantes Métropole a notamment été officiellement requalifié de « maître d’ouvrage caché » par la CNDP. Coup de théâtre, le 25 février 2019, le Parquet national financier (PNF) annonce qu’il enquête sur la situation fiscale du président des Canaris, Waldemar Kita – faisant suite à des révélations du Monde et de Mediacités sur ses acrobaties fiscales. La porte de sortie est toute trouvée pour Johanna Rolland. L’édile déclare dans la foulée dans un communiqué que l’enquête « rend impossible la cession d’un terrain public à son profit ». Le YelloPark est mort.                   

Cinq ans plus tard, l’enquête du PNF  toujours en cours s’enlise, comme l’a détaillé Mediacités. Waldemar Kita s’apprête pour sa part à battre le record de longévité à la tête du FC Nantes, 18 ans. Yoann Choin‐Joubert a lui déménagé à Paris il y a un an, alors que le groupe Réalités, surendetté, passé de 1 000 à moins de 100 salariés, est en redressement judiciaire. La maire de Nantes, Johanna Rolland, vise, elle, un troisième mandat aux municipales de 2026.

Le nébuleux dossier du YelloPark

3. Le “parc écotechnologique” du Carnet, en 2021

3 – Dans les cendres fumantes et toxiques des barricades, des vestiges baroques
Après l’expulsion, les forces de l’ordre évoluent dans les cendres et les restes baroques de la ZAD du Carnet. Photo : Nicolas Mollé / Mediacités

« On fait un reset et on réfléchit à l’utilisation du site, sans calendrier. Rien n’est programmé. Nous n’avons aucun projet de construction et d’aménagement à ce jour ». C’est en ces termes qu’en mars 2021, Olivier Trétout, alors président du Grand port maritime Nantes Saint‐Nazaire a rendu les armes. Exit donc son ambition de construire un « parc écotechnologique » de 110 hectares en bordure de Loire, sur les communes de Frossay et Saint‐Viaud, sur le site du Carnet. Le même qui fut déjà le terrain de manifestations d’opposants à l’installation d’une centrale nucléaire dans les années 1970 et 1980.

Quarante ans plus tard, un collectif Stop Carnet mobilise cette fois contre le « parc écotechnologique ». Une éphémère ZAD s’y installe même fin 2020. L’opposition de ces militants écolos, pourtant divisés sur les méthodes à employer, ne donne en fait que le coup de grâce. Car le projet a surtout été plombé par le mutisme du grand port maritime de Nantes Saint‐Nazaire, la prudence des collectivités locales et la frilosité du monde économique. 

Sur la jeune ZAD du Carnet, la divergence des luttes écolos

4. L’entrepôt Amazon de Grandchamp‐des‐Fontaines puis Montbert, en 2021

Un entrepôt Amazon aux États-Unis. Photo : CCNULL
Un entrepôt Amazon aux États‐Unis. Photo : CCNULL

Implanter un entrepôt logistique de 185 000 mètres carrés au sud de Nantes, à Montbert, alors que l’entrepôt le plus proche se situe du côté d’Orléans. Voilà l’ambition du géant américain du commerce en ligne Amazon avec, à la clef, la promesse de 1 500 emplois et d’une manne d’un million d’euros de taxe foncière par an. Autrement dit, une véritable aubaine pour la communauté de communes de Grand Lieu, dont le président (LR) Johann Boblin soutient le projet. Sauf que l’opposition est large et installée depuis les débuts, sous la bannière du collectif Stop Amazon 44, qui bénéficie du savoir‐faire des zadistes.

Car à l’origine, Amazon prévoyait bien d’installer son entrepôt à Grandchamp‐des‐Fontaines, en lisière du futur aéroport Notre‐Dame‐des‐Landes, donc de la ZAD, comme l’avait révélé Le Figaro en 2018. Mais devant la forte contestation qui se profilait, Amazon s’était rabattu sur Montbert, où les élus jetteront là l’éponge en octobre 2021. La faute à « une accumulation de contraintes techniques et juridiques décalant largement le calendrier initial », écrivent‐ils alors en langage policé.

Amazon à Montbert, le clap de fin ?

5. L’Arbre aux hérons, à Chantenay, en 2022

Un des hérons de l'Arbre aux hérons entreposé sur l'île de Nantes. Photo : Thibault Dumas / Mediacités
Un des hérons de l’Arbre aux hérons entreposé sur l’île de Nantes. Photo : Thibault Dumas / Mediacités

Voilà un des projets les plus emblématiques de l’ère Johanna Rolland. La construction d’une « Tour Eiffel nantaise » surplombant, à 35 mètres de hauteur, la Loire et le Jardin extraordinaire de la carrière Miséry. De quoi faire « rêver les Nantais », selon celui qui la dessiné il y a 20 ans, François Delarozière, le co‐créateur des Machines de l’île. Mais aussi appâter plus de touristes.

Las, le 16 septembre 2022, la maire socialiste de Nantes, annonce en conférence de presse son abandon. « Au vu du contexte d’urgence sociale et écologique, c’est trop. Trop pour les Nantaises et les Nantais », justifie Johanna Rolland. Les incertitudes techniques, juridiques et financières entourant la construction de l’arbre sont trop fortes avec un coût final qui a bondi de 35 à 52 puis 80 millions d’euros, financés en trois tiers (Nantes Métropole, public, privé).

Avec in fine la menace que l’Arbre aux hérons ne passe pas le vote en conseil métropolitain sans les voix écologistes et d’élus des autres communes de la Métropole. Une seconde mouture du projet, à base de fonds 100 % privés, sera lancée dans la foulée par la CCI Nantes Saint‐Nazaire. Mais elle connaîtra le même sort que la première un an plus tard, en septembre 2023. Aujourd’hui le site de l’Arbre est en travaux, on y double la surface du Jardin extraordinaire pour une inauguration prévue à l’automne.

Arbre aux hérons, dragon, minotaure : la belle mécanique des Machines connaît des ratés partout

6. Méthaniseur XXL de Corcoué‐sur‐Logne, en 2023

Panneau tagué contre le méthaniseur XXL à Corcoué-sur-Logne, en 2021. Photo : Thibault Dumas / Mediacités
Panneau tagué contre le méthaniseur XXL à Corcoué‐sur‐Logne, en 2021. Photo : Thibault Dumas / Mediacités

Cette fois, c’est un haut fonctionnaire qui siffle la fin de la partie. Le 24 novembre 2023, Fabrice Rigoulet‐Roze, préfet de Loire‐Atlantique, émet un avis défavorable au projet de construction d’un méthaniseur XXL de Corcoué‐sur‐Logne, petite commune à la lisière de la Vendée. Baptisé Métha Herbauges, ce projet privé de quelque 80 millions d’euros est porté par le groupe danois Nature Energy et par 210 agriculteurs agrégés en coopérative. La promesse : « 21 emplois directs et environ 200 emplois indirects » créés pour cette structure colossale qui doit produire 16,5 millions de mètres cubes de biométhane par an. Les manifestations d’opposants, regroupés au sein du Collectif vigilance méthanisation Corcoué (CVMC), se succèdent.

Les élus des communes environnantes sont contre. Tout comme les deux conseils départementaux : la Loire‐Atlantique, par peur du trafic engendré, et la Vendée, pour protéger d’une concurrence nouvelle ses propres méthaniseurs. Seule Christelle Morançais soutient « les méthaniseurs XXL ». Mais la présidente (Horizons, ex‐LR) de la Région Pays de la Loire finit par faire volte‐face mi‐novembre 2023, anticipant l’avis défavorable du préfet. « Le méthaniseur XXL de Corcoué‐sur‐Logne ne se fera pas, parce qu’il ne fait pas l’unanimité du territoire, justifie‐t‐elle. J’ai dit aux porteurs de projet d’arrêter de s’acharner sur ce territoire qui n’en veut pas. »

Méthaniseur XXL de Corcoué‐sur‐Logne : le « oui mais non » de Christelle Morançais

7. L’extension de la carrière de Saint‐Colomban, en 2023

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La Loire‐Atlantique compte près de 200 carrières pour 3 000 en France. Photo : François Goglins / Creative Commons

Les entreprises Lafarge‐Holcim et GSM, qui exploitent 49 et 65 hectares de carrières de sable à Saint‐Colomban, ont longtemps souhaité s’étendre sur 70 hectares supplémentaires. Le maire (divers droite), Patrick Bertin, est pour, tout comme une courte majorité de la population, qui a dit « oui » au projet à 54 % en 2022. Problème, la Loire‐Atlantique compte déjà 200 carrières, ce qui en fait l’un des principaux producteurs de sable, gravillons et autres graviers du pays.

Du côté des opposants, regroupés au sein de l’association La Tête dans le sable, on dénonce donc l’artificialisation des sols. C’est d’ailleurs à Saint‐Colomban – ainsi qu’à Sainte‐Soline (Deux‐Sèvres), contre un projet de méga‐bassine – qu’émerge médiatiquement le mouvement des Soulèvements de la terre (SLT), monté par d’ex-zadistes de Notre‐Dame‐des‐Landes. Lors d’une manifestation, des activistes pénètrent dans des serres et arrachent du muguet et de la mâche, créant une polémique nationale. SLT sera dissous par le gouvernement dans la foulée, une décision annulée par le Conseil d’État en novembre 2023.

Quelques mois plus tard, en janvier 2024, le projet d’extension de carrière de Saint‐Colomban est abandonné par Lafarge‐Holcim. « Le contexte est particulièrement dur pour notre secteur ; la construction et le logement subissent de plein fouet la crise », explique alors l’entreprise. Cependant une nouvelle enquête publique, sur une extension réduite pour la seule entreprise GSM, a été ouverte en juin 2025 entraînant un nouveau recours et une nouvelle manifestation.

De Notre‐Dame‐des‐Landes à Sainte‐Soline : les racines nantaises des soulèvements écolos

Série : En cartes

Avec cette série estivale en quatre épisodes, Mediacités revient en cartes inédites sur l’actualité où ce qui façonne l’agglomération nantaise et la Loire‐Atlantique. 

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  • Pour citer la rénovation du musée d’arts comme un exemple de grand projet réussi, comme le fait la maire de Nantes, il faut avoir mauvaise mémoire. Un grand projet, oui : Jean‐Marc Ayrault avait même déclaré au conseil municipal du 3 avril 2009 que ce serait LE grand projet de son quatrième mandat (2008–2014). Il devait alors coûter 34,6 millions d’euros et s’achever en 2013. Comme on sait, il a fallu quatre ans de plus, et il a coûté 83,8 millions d’euros.
    En septembre 2022, Mme Rolland a renoncé à l’Arbre aux Hérons au motif que son coût pourrait dépasser les 52,4 millions d’euros annoncés, qui lui paraissaient apparemment acceptables, pour atteindre 80,4 millions d’euros.

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Temps de lecture : 9 minutes

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Par Thibault Dumas