René Martin, restaurants, promesses de Johanna Rolland… L’impact des enquêtes de Mediacités Nantes en 2025

Parmi les 153 enquêtes publiées par la rédaction nantaise de Mediacités cette année, certaines ont fait bouger les lignes. Des répercussions qui prouvent, une nouvelle fois, l’utilité d’une presse d'investigation locale.

Mediacités Nantes scrute les effets de quelques unes de ses publications des derniers mois. Montage : Thibault Dumas / Mediacités

Révéler des faits d’intérêt public à Nantes et aux alentours. Depuis près de neuf ans, voilà la promesse éditoriale de Mediacités. Mais à quoi sert de révéler ces faits, d’éclairer des situations méconnues, de dévoiler des injustices si ce travail reste sans effets ?

Cette question de l’utilité du travail journalistique était déjà au cœur du Manifeste accompagnant la création du journal, fin 2016. Elle est restée centrale. Au point que chaque année depuis maintenant cinq ans, nous publions un rapport annuel sur l’impact de nos articles.

2025 ne fait pas exception et nous vous proposons de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, pour analyser les effets produits par certains des 153 articles publiés cette année par la rédaction de Mediacités Nantes.

René Martin : enquête judiciaire en cours

♦ Les faits :

Le 18 octobre 2025 restera une date charnière pour le monde de la musique classique française. Au terme de dix mois d’une enquête conjointe menée avec La Lettre du musicien nous publions alors deux articles consacrés à René Martin, fondateur de La Folle journée et grand ordonnateur de 1 500 concerts en France chaque année. Cette enquête minutieuse se fonde sur 20 témoignages de salariées et ex‐salariées, ainsi que près de 200 documents.

Cette enquête révèle non seulement la porosité entre les dépenses personnelles et professionnelles de René Martin (frais de bouche, hébergements, voyages), au sein du Créa Folles journées, mais aussi le management régnant au sein de l’association. Elle fait notamment état d’accusations de violences sexistes et sexuelles que subiraient régulièrement les collaboratrices du directeur artistique, dont l’exposition répétée à des contenus pornographiques.

René Martin en direct de la Folle journée à la Cité des congrès de Nantes, en 2024. Photo : compte Facebook de la Folle journée

👊 Impact :

Le lendemain de nos révélations, le bureau du Créa, sous la pression de la Ville de Nantes, commande un audit « sur le climat social et le bien‐être au travail » – mais pas sur la gestion financière. Malgré les pressions qu’a exercé René Martin sur ses équipes, les conclusions de cet audit, mené par un cabinet d’avocats, sont rendues le 20 octobre au Créa et transmises à la Ville de Nantes. Elles s’avèrent particulièrement sévères

Le rapport pointe « un climat social globalement dégradé », avec « un cumul excessif des rôles par le directeur ». Il relève en outre que « plusieurs salariés ont fait état de comportements perçus comme inappropriés de la part du directeur » ainsi qu’une « exposition directe de certaines salariées » à des contenus pornographiques. La mairie saisit le procureur de la République le 22 octobre puis annonce la fin de sa collaboration avec René Martin, deux jours plus tard.

La Folle journée, Ma Région virtuose… quel avenir pour les festivals sans René Martin ?

Elle est suivie par la région Pays de la Loire (Ma Région virtuose) et par les organisateurs du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron, dans les Bouches‐du‐Rhône. « Un service d’enquête pénale est chargé d’investiguer sur ces évènements », informe de son côté le parquet de Nantes. « L’enquête ne fait vraiment que commencer », complète‐t‐il le 14 novembre, à nouveau sollicité par Mediacités. René Martin, qui a démissionné du Créa fin octobre, « conteste avec la plus grande fermeté les accusations ». Il reste présumé innocent.

Parallèlement, la parole s’est libérée. Mediacités et La Lettre du musicien ont reçu depuis mi‐octobre huit nouveaux témoignages d’ex-salarié(e)s du pape de la musique classique. Deux de ces nouveaux témoins affirment qu’elles auraient été agressées sexuellement par René Martin. Nos confrères de Ouest‐France ou Presse Océan récoltent aussi les leurs, qui confirment les éléments de nos premières publications. Plus tardivement, depuis fin octobre, le monde de la musique classique se divise entre pétition, contre‐pétition, en soutien à René Martin ou à la parole des employé(e)s.

Les promesses de Johanna Rolland

♦ Les faits :

En 2020, à l’issue de négociations tendues avec les écologistes, le programme municipal de Johanna Rolland comptait 323 promesses électorales. La première était : « proposer 100 % de repas “faits maison” dans les cantines scolaires et dans les crèches avec 75% de produits bios et locaux avant la fin du mandat et une cantine zéro plastique au plus tard en décembre 2021 ». La dernière ? « S’engager pour une finance locale à impact positif : développer l’épargne solidaire pour les particuliers comme pour les entreprises, l’investissement participatif et les monnaies locales ».

Entre les deux, toute une série de thématiques sont développées – santé, écologie, sécurité, social, innovation, démocratie – par ce contrat de gouvernance de la gauche rose‐rouge‐vert (qui gouverne la Ville depuis 1989). Alors la maire (PS) de Nantes, qui brigue un troisième mandat en mars, a‑t‐elle tenu ou trahi ses engagements de campagne, alors qu’elle brigue un troisième mandat ?

Johanna Rolland le 26 mai dernier face à ses soutiens lors d'une rencontre “Rayonnantes”./ Photo : Thibault Dumas / Mediacités
Johanna Rolland le 26 mai dernier face à ses soutiens lors d’une rencontre « RayonNantes ». Photo : Thibault Dumas / Mediacités

👊 Impact :

Dès le mois de septembre 2020, Mediacités a mis en place son outil Radar. Alimenté par nos enquêtes et un travail régulier de recension des décisions prises, il passe au crible l’application de ces fameuses promesses électorales. Ce qui est devenu un vrai enjeu politique et public. Et en a inspiré d’autres. En avril, lors de la présentation du bilan de mandat de la majorité, le service communication de la Ville/Métropole a distribué un tableau de 38 pages détaillant les 319 propositions – certaines ont été regroupées.

Le fruit d’un travail de fourmi et de com’, « réalisé par les services », précise la mairie à Mediacités. « 96 % des engagements ont été tenus », plastronne depuis la maire socialiste, comme encore récemment, le 13 novembre lors de la présentation de sa liste « La Gauche unie pour Nantes ».

Du côté de Mediacités nous avons vu plus large et précis : notre outil Radar recense en effet 410 promesses, certains engagements mêlés à d’autres nous ayant semblé mérité d’être isolés. Afin de rendre leur évaluation plus lisible. Résultat, notre outil et le travail (de fourmi lui aussi) mené par la rédaction de Mediacités proposent un état des lieux bien plus nuancé : 71,8 % des promesses de Johanna Rolland appliquées (41,9 %) ou en partie appliquées (29,9 %).

En outre, toutes ne se valent pas. L’abandon du projet d’Arbre aux hérons a par exemple marqué fortement l’opinion publique et il s’agit d’un tournant politique pour la socialiste Johanna Rolland. « Devenir la première ville non sexiste de France à 10 ans », est un engagement largement sujet à débat. Alors qu’approchent les élections municipales, Mediacités continuera à passer ainsi au crible les programmes et les engagements des candidats. Et à vérifier leur application durant le prochain mandat.

Johanna Rolland a‑t‐elle tenu 96 % de ses promesses, comme elle l’affirme ?

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Restaurants : un audit au Lieu unique

♦ Les faits :

Nantes compte 1 875 restaurants et débits de boissons (chiffres de l’Uimh de Loire‐Atlantique). Un monde des cuisines et des comptoirs qui n’échappe pas, comme partout ailleurs en France, aux violences sexistes et sexuelles sur fond de cadences de travail effrénées et de consommation quotidienne d’alcool ou de drogues. 

À Nantes, il aura fallu neuf mois à Mediacités pour réunir 34 témoignages de salarié(e)s et d’acteurs du secteur. Notre enquête s’est focalisée sur des faits d’agressions sexuelles qui auraient été commises dans certains d’entre eux : deux pizzerias et deux bars du Bouffay ou des bords de l’Erdre ainsi que le restaurant du Lieu unique (géré par une entreprise distincte). Il s’agit du troisième volet de notre série sur la restauration nantaise qui s’est aussi intéressée aux principaux propriétaires et à leur tambouille économique.

La cuisine d’un restaurant à la fin d’un service. Dessin : Ana Pich

👊 Impact :

« La direction du Lieu unique s’est entretenue avec la direction du bar‐restaurant. Une enquête interne sera menée dans les meilleurs délais pour établir les faits », a réagi la direction du Lieu unique, alertée par notre enquête. Cet audit est toujours en cours à l’heure nous écrivons ces lignes. Pour les autres lieux, les personnes mises en cause ne sont plus en fonction ou ont été écartées il y a plusieurs mois. Dans d’autres établissements (dont nous tairons le nom pour l’heure), des employé(e)s effectuent des signalements internes ou nous contactent à leur tour pour témoigner.

Classement sans suite pour l’ex-président de la FNSEA

♦ Les faits :

Le violent incident, révélé par Mediacités et Ouest‐France en mai, avait fait grand bruit dans le monde agricole de la Loire‐Atlantique, symbolisant les tensions qui le traversent. Et pour cause : il impliquait Alain Bernier, ex‐président bien connu de la FNSEA et de la Chambre d’agriculture de Loire‐Atlantique. Le 4 février 2025, une technicienne missionnée par le Syndicat du bassin versant du Brivet (SBVB), venait de terminer son relevé de mesures sur la propriété de l’éleveur.

Arrivés à sa rencontre, Alain Bernier et son fils l’invectivent et la menacent. Du matériel, dont un appareil photo, est volé. L’ex-leader syndical parle à Mediacités d’« une discussion courtoise mais tendue, rien de plus ». La technicienne dépose plainte à la gendarmerie de Pontchâteau, pour menaces de mort et injures. Son entreprise Hydro concept en fait de même pour le vol – le matériel sera restitué via la mairie de Missilac quelques jours après.

Alain Bernier, sur son exploitation à Missilac. Photo : Facebook d’Alain Bernier

👊 Impact :

Huit mois plus tard, l’enquête des gendarmes a conclu que l’infraction est insuffisamment caractérisée. Le parquet de Saint‐Nazaire a donc décidé de classer sans suite la plainte de la technicienne. Faute d’éléments suffisants, comme l’annonce Ouest‐France et peut le confirmer Mediacités.

L’actuel président de la FNSEA 44, Mickaël Trichet, s’est félicité de cette issue favorable, retenant une pénétration « sans autorisation sur la propriété privée [d’une] exploitation ». Il s’est aussi très longuement attaqué à la presse, Mediacités en tête, dans La Loire‐Atlantique agricole (le journal de communication de la FNSEA). 

Johanna Rolland a‑t‐elle tenu 96 % de ses promesses, comme elle l’affirme ?

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Par Thibault Dumas

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